Histoire de Ménerbes

Les origines

pitchoune

Le nom de Ménerbes serait dérivé de celui de la déesse romaine Minerva mais cette hypothèse reste à vérifier. En 1081, les textes font référence au village sous le nom de Menerba et par la suite de Minerbium. En provençal, le village se nomme Menèrba ou Menerbo. La fondation officielle du village date du XIe siècle mais de nombreux vestiges montrent une occupation beaucoup plus ancienne qui remonte à l’antiquité et à la préhistoire. Les premiers indices importants d’occupation humaine sur le territoire de Ménerbes ont été mis au jour dans l’abri rupestre «Soubeyras» et remontent au Paléolithique supérieur, il y a quelque 35 000 ans. Le dolmen de la Pitchoune situé en contrebas du village atteste de la présence au néolithique (environ 4 000 av. J-C) de communautés organisées. Cette présence s’étendait ailleurs dans la campagne, y compris dans l’abri Soubeyras, ainsi que sur l’éperon rocheux qui porte le village actuel.

 

L'Empire romain

romanite

La voie domitienne (118 av. J-C), axe majeur reliant l’Italie à l’Espagne, passait au nord de la commune. Un relais routier nommé Ad Fines placé entre les cités de Cabelio (Cavaillon) et d’Apta Julia (Apt) était sans doute situé sur le territoire de Ménerbes. Les terres de la commune ont livré de nombreux vestiges indiquant une présence romaine dès le premier siècle av. J-C : un chapiteau de colonne ionique découvert en 1986 sur les berges du Calavon qui semble être la trace d’un monument important, à vocation cultuelle ou funéraire, les vestiges d’un atelier de potier spécialisé dans la fabrication de pièces utilitaires (amphores, tuiles plates) au quartier des Bas-Eyrauds/Artèmes, un autel à Silvain offert par Sextus Iulius Bellatulus et Gaius Iulius Marcellinus (quartier Guimberts), une stèle dédiée à Flavia, fille de Graecinus (quartier Saint-Alban).

 

 L'Antiquité tardive

fouilles

Lors de l’effondrement de l’empire romain, la fin des grandes cités, lieux de pouvoir, profita aux campagnes qui virent les populations s’y réfugier à des fins de survie. Les aménagements et les habitats précaires édifiés durant cette période n’ont laissé que peu de traces mais certaines sont encore visibles à Ménerbes : le site funéraire de Saint-Estève (fin du IVe siècle), les aménagements rupestres de l’abbaye de Saint-Hilaire, dans de nombreuses maisons comme la Maison Dora Maar, des aménagements creusés dans la molasse (fonds d’habitations, silos, cuves, trous de poutraison...), en bordure du sentier qui conduit à la Porte Saint-Sauveur, les escarpements rocheux percés de trous de logement de poutres et d’aménagements divers témoignent de maisons dont les avancées en pierre et en bois ont aujourd’hui disparu.

 

La vie religieuse au Ve siècle et la légende de Castor d’Apt, dit Saint Castor

Saint Castor

Originaire de Nîmes, il fonda un monastère en un lieu nommé Manancha dont l’emplacement demeure mystérieux mais qui, selon certains, pourrait se trouver sur le territoire de Ménerbes. Vers 410, à la mort de l’évêque d’Apt, le clergé et la population de cette ville vinrent solliciter Castor pour lui confier le siège épiscopal. Il refusa et se réfugia dans une grotte du Luberon, peut-être celle du quartier de Ménerbes connu sous le nom de San Castro. Les aptésiens finirent par le retrouver et le firent sacrer évêque. Plusieurs miracles lui sont attribués; il aurait notamment rallié son monastère depuis Apt par une nuit d’orage sans que ses vêtements soient mouillés.

 

 

 Le castrum féodal

baie

Après plusieurs siècles de désorganisation, l'espace et le territoire se sont restructurés autour du castrum, véritable entité placée sous l’autorité de co-seigneurs, eux mêmes rattachés à un pouvoir centralisé. Juché sur un éperon rocheux, le village assurait sa défense en prolongeant les parois naturellement verticales par des remparts ponctués de tours et d’archères dont il reste peu de traces aujourd'hui. A l’intérieur de ces défenses, un réseau dense d' habitations précaires et de ruelles étroites côtoyait les édifices de qualité des co-seigneurs et des résidents fortunés. L’un des rares vestiges d’époque médiévale subsiste dans la façade nord est d’un bâtiment qui sera occupé plus tard par l’hôpital et qui est visible depuis l’extérieur du village. Il s’agit d’une baie géminée datant de la fin du XIIe siècle ou de la première moitié du XIIIe siècle qui est la plus ancienne baie identifiée à ce jour dans le village.

 

 L'abbaye de Saint-Hilaire

st hilaire

Pendant les Croisades, d’anciens croisés vivant en ermites au Mont-Carmel, doivent quitter la Terre sainte pour se réfugier en Europe. Les premiers s’installent dans la grotte ermitage des Aygalades à Marseille. Quelques années plus tard, un petit groupe s’installe dans des grottes, près d’un point d’eau sur des terres appartenant à un seigneur de Ménerbes, face au Luberon. En 1274, les Carmes ayant été reconnus comme Ordre mendiant, les frères quittent leur vie d’ermite pour la vie monastique et fondent l’un des premiers couvents de l’Ordre des Carmes dans le sud de la France.
Peu à peu, les Carmes édifient leur couvent. Ils construisent la grande chapelle romane et deux chapelles attenantes : une romane, la plus ancienne, et une gothique, au XIVe siècle.
Ce couvent des Carmes est aujourd’hui communément appelé Abbaye de St Hilaire.

 

 Quitter le Moyen Âge

prison

La fin du Moyen Âge est marquée par la «grande peste» ou «peste noire» qui décime la population du Luberon en 1348. Le village est en partie déserté mais il retrouve un nouvel élan illustré par le développement de nouveaux quartiers à l’extérieur des remparts. Le plus ancien cadastre de la commune, établi en 1414, fait état de la place de l’Oulme et du quartier Saint-Estève.La construction vers 1510 de l’église paroissiale, en remplacement de l’ancien prieuré Saint-Sauveur, est la manifestation la plus flagrante de ce renouveau et des capacités de la société à se relever des affres du Moyen Âge.

 

 

 Les guerres de religion : cinq années de siège (1573-1578)

guerres religionLes Vaudois venus des basses vallées alpines à la fin du XVe siècle ont repeuplé la Provence après la grande peste. Ils ont relevé l’économie, cultivé les terres délaissées et reconstruit fermes, villages et châteaux. Leurs croyances et leurs pratiques religieuses sont considérées comme hérétiques, ils deviennent officiellement protestants en 1532 et sont condamnés par l’arrêt dit «de Mérindol» en 1540. En 1545, sur ordre de François Ier, les troupes françaises conduites par le baron Maynier d’Oppède aidées par le pouvoir pontifical d’Avignon se livrent à des massacres contre cette communauté. Dans ce contexte de guerres de religion, le royaume de France et la Provence s’embrasent.    Après le massacre de la Saint-Barthélemy (le 24 août 1572), les chefs protestants décident de faire un exemple. Ménerbes qui s’était particulièrement distingué par sa fidélité au pape durant le début des guerres de religion, est investi le 4 octobre 1573 par environ 150 hommes d’armes conduits par Scipion de Valavoire et des religionnaires de la Valmasque. Les protestants se rendent maîtres de la place et renforcent les fortifications. Cet outrage fait à une cité dépendant du Saint-Siège déclenche une mobilisation générale. Un siège est installé sous le commandement de Henri d’Angoulême, fils du roi Henri II, Grand Prieur de France et gouverneur de Provence. À ses côtés se trouvent Albert de Gondi, maréchal de Retz ainsi que Dominique Grimaldi, nouveau recteur du Comtat Venaissin et Saporoso, capitaine pontifical qui commande des compagnies venues de Corse et d’Italie, soit en tout 15 000 hommes. Après l’installation des troupes au pied du village, le nid d’aigle est encerclé de tranchées, de redoutes, de fortins et de batteries de canons. En infériorité numérique et mal armés, les assiégés réussissent à défendre leur position durant cinq années, avec l’aide de huguenots venus de Mérindol, Aix, Cavaillon et Arles. Sous l’impulsion du recteur Grimaldi et des consignes pontificales, entre septembre et octobre 1577, le Castellet reçoit 907 coups de canon soit 14 tonnes de ferraille. Ces canonnades qui provoquent des incendies et de nombreuses destructions, dont celle de la tour Cornille, sont suivies d’interminables transactions. Harcelés, privés d’eau potable et pris au piège dans leurs fortifications anéanties, les protestants acceptent la reddition le 09 décembre 1578. Les 120 soldats qui tenaient encore la place quittent le village, bannières déployées et tambours battants, et se retirent à Murs. Ménerbes sort meurtri de ce terrible épisode, l’un des plus mémorables des guerres de religion en Provence.

 

La reconstruction

Citadelle sit

Largement détruit pendant la période du siège, le village reconstruit ses défenses, se dote de nouvelles portes, d’un pont-levis et d’un bâtiment aux allures de forteresse, la Citadelle qui assure la fonction de garnison puis de résidence du gouverneur. Certaines portes sont associées à une chapelle. Ce groupement qui mêle spiritualité et défense revêt une importance symbolique en affirmant, après le siège, la puissance de la religion catholique triomphante. En ruine après le siège, l’église paroissiale (qui deviendra plus tard l’église Saint-Luc) est restaurée. Un nouveau clocher aux allures de tour de défense est construit en 1594 et une nouvelle cloche est installée pour avertir de toute menace.  La maison commune est reconstruite à l’emplacement d’un ancien corps de garde. Elle est flanquée d'une tour dite «tour de l’horloge», construite entre 1610 et 1613 et coiffée vraisemblablement dès l’origine d’un campanile et d’une cloche. Cet édifice encore très prégnant dans le village d’aujourd’hui représente dès sa construction un symbole fort du pouvoir. Après avoir été occupée par les armées d’assiégeants, la campagne environnante est en état de saccage et d’abandon. On assiste, dès les années 1580, à  une restructuration du terroir avec la multiplication de nouvelles bastides agricoles dans la plaine sous l'égide de notables ayant une résidence à Ménerbes. Ces bastides seigneuriales et les fermes des petits propriétaires ponctuent le paysage. Dans cette réorganisation de l’espace agricole en grandes terres et en terrasses, la construction en pierre sèche se développe.

 

 XVIIe et XVIIIe siècles : les villégiatures

hotel astier de montfaucon

A l’écart du territoire royal, le Comtat Venaissin conserve d’anciens privilèges. Protégé par son administration pontificale, il n’est pas soumis aux impôts qui pèsent lourdement sur les sujets du roi. Ces conditions favorisent le développement de l’économie et l’implantation des grands propriétaires terriens. Le village qui conserve quelques anciennes murailles et vieilles demeures héritées du Moyen Âge, connaît aux XVIIe et XVIIIe siècle d’importantes transformations : déplacement de l’ancien hôpital, remaniement de l’ancienne maison de ville, construction du portail neuf, reconstruction des chapelles Notre-Dame des Grâces et Saint-Blaise.


 

hotel astier de tingryLa plupart des hôtels particuliers que nous pouvons encore admirer aujourd’hui tels que l’hôtel d’Astier de Montfaucon, l’hôtel de Carmejane, le Castellet, l’hôtel des de Ferres (actuelle Maison Dora Maar), l’hôtel de Tingry et l’hôtel de Girardet de Castelas ont été construits ou transformés durant la période XVIIe-XVIIIe siècle Ces demeures aristocratiques de villégiature, construites au cœur du village, comportent de grands espaces intérieurs et des terrasses et jardins d’agrément ouverts sur le paysage. Le blason de la commune, qui est une réalisation du XVIIIe siècle, symbolise les forces en présence. La commune est représentée par le monogramme MB entouré de deux croissants, signes de noblesse, de richesse et de croissance, qui glorifient le pouvoir communal des consuls. Les deux clés situées au-dessus représentent le pouvoir pontifical confié aux légats. L’ensemble est dominé par une représentation stylisée des remparts et des tours du village. Après la révolution de 1789, Ménerbes reste fidèle au pape Pie VI. Le conseil municipal ne célèbrera le rattachement à l’Empire français que le 1 novembre 1791, deux mois après la restitution d’Avignon et du Comtat Venaissin à la France.

 

 XIXe siècle : les paysans et artisans

forgeron

Parallèlement à la viticulture et aux productions agricoles traditionnelles de fruits, légumes et céréales, l’élevage du ver à soie devient au XIXe siècle l’une des spécialités de la région. La sériciculture est souvent une activité d’appoint : les cocons sont produits par les familles qui y dédient une partie de leur ferme ou même de leur habitation. Toutefois, une production plus industrielle se met en place : la soie est traitée sur place dans une magnanerie et une filature. En 1852, la commune produit 490 quintaux de cocons de vers à soie. L’exploitation de carrières de pierres, dont la pierre blanche calcaire dite «pierre de Ménerbes», représente une bonne partie de l’activité économique depuis le XIXe siècle. Au-delà de l’extraction et des revenus substantiels qu’elle a apportés, cette activité a eu un impact direct sur la commune avec la création de quartiers réservés aux carriers et de routes réservées à la circulation des convois chargés de blocs de pierre. Le village du XIXe siècle est habité par des paysans, des ouvriers agricoles, des artisans et des commerçants occupant des maisons simples qu’ils réparent et entretiennent sobrement (modification des ouvertures, réfection des enduits de chaux…). Certaines maisons se dotent de four à pain, de moulin à huile ou de cadrans solaires mais peu de bâtiments importants sont construits durant cette période.

 

 XXe siècle : les artistes et les écrivains

nicolas de stael

La sériciculture (l’artisanat de la soie) ayant périclité vers la fin du siècle précédent, l’agriculture reste une activité importante de la commune, notamment la viticulture, la production de fruits et le maraîchage.
L’exploitation de carrières de pierres se poursuit uniquement à ciel ouvert. Les blocs extraits sont retaillés sur place. L’activité principale concerne surtout le sciage de pierre à façon, ainsi que la production de produits finis, (cheminées, colonnades, encadrements de portes et de fenêtres…)
Au cours du siècle, la commune construit une poste en 1905, un lavoir en 1908, une nouvelle école en 1953. L’école porte le nom de Clovis Hugues, homme politique, poète, romancier, majoral du Félibrige (défenseur de la langue et de la culture des pays de langue d’oc), qui est né à Ménerbes au moulin du quartier du Castelet le 3 novembre 1851. D’autres bâtiments apparaissent: une salle polyvalente, une bibliothèque, un foyer sportif et centre de loisirs. La restauration de l’ancien hôtel d’Astier de Montfaucon a permis d’aménager une Maison de la truffe et du vin.
À partir des « Trente Glorieuses », de nombreux artistes s’installent à Ménerbes :

calade apres minDora Maar (Henriette Teodora Markovitch), photographe et peintre, achète en 1944 un ancien hôtel particulier de Ménerbes avec le produit de la vente d’un tableau offert par Picasso. Après sa séparation avec le peintre espagnol jusqu’à son décès en 1997, elle partage son temps entre Paris et Ménerbes où elle vit en recluse.
Georges de Pogédaïeff, peintre et poète russe, achète, en 1951, une maison du village qu’il fréquentait déjà depuis de nombreuses années. Il y vit jusqu’à son décès en 1971. En 1955, une restauration de la chapelle ND des Grâces est réalisée à son initiative. On peut y voir un triptyque dans le chœur et quatre grandes peintures murales saintes offerts par l’artiste.
Nicolas de Staël, peintre français originaire de Russie, achète en 1954 la résidence dite « Le Castelet » où vit encore sa famille. Il y peint entre autres plusieurs toiles intitulées Ménerbes dont une version se trouve au musée Fabre de Montpellier.
Joe Downing, peintre américain, arrive à Ménerbes à la fin des années 1960 et fait de sa maison son atelier, composant ses tableaux sur des supports très divers. Il réalise des vitraux pour l’église St Luc et pour la salle polyvalente.

Jane Eakin, peintre américaine, découvre le village par son ami Joe Downing. Elle s’y installe dans les années 1970. A sa mort, sa maison est léguée à la commune et devient un musée intime et personnel de l’artiste.
Maurice Duruflé, organiste, compositeur ( Le Requiem, opus 9) et son épouse Marie Madeleine, organiste de renommée internationale sont enterrés au cimetière du village.
François Nourissier, écrivain français qui fut membre pendant 30 ans de l’Académie Goncourt, a longtemps vécu à Ménerbes où il écrivit plusieurs ouvrages. Il a posé la première pierre de la bibliothèque municipale qui porte son nom.
Peter Mayle, ancien cadre publicitaire, s’installe dans la campagne ménerbienne en 1987. Il y rédige une série de livres sur les habitants de la région et vend sa maison quelques années plus tard.

Ménerbes continue à attirer et héberger des artistes. La Maison Dora Mar en accueille régulièrement en résidence.

Sources : C. Markiewicz, B. Pantalacci, H. Aulagnier, Inventaire patrimoniale et historique de la commune de Ménerbes (2019) et divers.

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